[Textes en vrac sans chronologie, invention et écriture de moi-même, archivées sur mon site eirwen.fr. Récits écrits le plus souvent après avoir été joués en jeu, les personnages cités sont donc des joueurs du serveur.]
• Titre : Nanake & Laelie. (Ou la parenthèse de Laelie.)
• Personnages : Les deux sœurs citées dans le titre pardi !
• Année : 630 -631.
• Sujet : Origine de leur séparation et retrouvailles.
• Joué en jeu ? : Non.
C’est le début du mois de la Lyre, l’équivalent de fin Javian. Une enfant aux cheveux roses et hirsutes trempe ses mains dans un petit pot de terre cuite remplit de couleurs et se barbouille le visage en riant.
« Regarde Nanake, je suis une guerrière qui brille ! »
La sœur plus âgée sourit et retourne à son ouvrage. La confection de l’instrument piégé était toujours confiée à la disciple de Sram, ses longs doigts agiles inspiraient confiance. La lyre est simple de facture. Ses parties essentielles sont élaborées avec des matériaux qu’ici l’on pille aisément, la caisse de résonance n’est autre qu’une carapace de tortue. Une membrane vibrante en peau de bouftou est tendue sur le côté concave avec de petits piquets, les cordes sont en boyau et fixées au chevalet de roseau. La partie la plus délicate, c’est quand il faut la fourrer de dynamite.
Peut-être faudrait-il vous situer où et quand cette histoire se déroule. Le Clan ne possédait qu’une vague notion du temps et les bandits se plaisaient à inventer leur propre calendrier, basé sur les méfaits et ouvrages à renouveler. Nous sommes en l’An 630 bien au-delà de la mer Kantil, outre les terres glacées et les abysses interminables, au Sud-Ouest de l’île de Mynia. Cette partie était occupée par un village, ou plutôt un large camp organisé, refuge des pires crapules où le seul mot d’ordre était de survivre.
La région était plate, clairsemée d’ajoncs et de roseaux bien utiles. Ca et là des mares et des bras d’eau immobiles luisaient faiblement sous le soleil entre de grandes étendues de terre grise et lisse comme de la boue séchée. Les Marais Secs étaient mortels et au moindre faux pas, les pellicules de croûte illusoirement solides s’effritaient pour dévoiler bourbiers, trous de vase et sables mouvants. Plus loin au centre de l’île s’élevait une ville prospère protégée par la nature. La forêt l’entourant était dense, d’un type quasi tropical. Dans une atmosphère humide, une semie-obscurité verdâtre régnait en gardienne. Le sol était parfois spongieux. Des fleurs éclatantes poussaient parmi les branches dans les trouées de lumière. Elle était très sonore, principalement peuplée d’oiseaux aux ailes immenses, parfois troublés par les patrouilles incessantes de la Milice locale. Une cité où les vivres et récoltes sourissent à ses habitants tandis qu’autour se déchirent les campements miséreux de nombreux Clans, foulant cadavres et sols désolés.
Le campement de Laelie et Nanake savait se démarquer. Ruse, fourberie, coups-bas, tout était permis. Néanmoins depuis peu il était la cible systématique d’attaques incessantes et non pas des brigands voisins, mais de la ville du plein centre. On avait découvert qu’aux Marais Secs une vase précieuse pouvait être recueillie. Bue en décoction elle procurait des effets miraculeux contre nombreux maux notamment la fièvre des Moskitos, véritable fléau. Pour rejoindre la mer il fallait traverser les collines côtières. Elles sont en moyenne peu élevées, vingt à trente mètres, et d’accès facile. Les bandits, pour dissuader les jeunes esprits ou les femmes effrayées de tenter une fuite suicidaire vers le grand bleu, racontaient à la nuit tombée qu’une chimère hantait les cavités rocheuses et dévorait même les plus téméraires. De ce fait, les collines n’étaient jamais traversées.
Nanake avait sept ans à cette époque. Une petite touffe d’un blond-gris très clair se dressait sur sa tête, toujours retenue par un large bandeau de cuir pour dégager son visage au mieux. Les enfants du Clan étaient rapidement initiés aux coutumes et chaque petite bouille cachait en réalité un sombre arsenal de connaissances. Ils avaient leurs préférences, Nanake elle était douée de par son allégeance à Sram à tout ce qui touchait à l’infiltration, à la concotion de poisons, de pièges, crochetage et lame sous la gorge. Elle ne parlait jamais quand ce n’était pas nécessaire, ne riait pas, ne courrait pas entre les couchettes et les marmites. Elle disait qu’il fallait toujours se préparer au pire. Sa confiance n’était accordée qu’à Laelie et elle seule lui permettait de s’échapper de ses responsabilités. Nanake n’avait que sept ans à cette époque mais elle était déjà une petite femme et ce n’était pas rare sur cette île qu’un enfant grandisse plus vite qu’il ne devait, contraint de suivre le rythme de la survie.
Laelie est venue au monde avec les cheveux roses et l’on dit en riant que c’est sans doute que sa mère mangeait trop de baies lors de sa grossesse. La demoiselle de cinq ans à peine décorait ses poignets de perles colorées et ses vêtements de coquillages nacrés. Elle faisait sécher des fleurs sous son oreiller et racontait qu’ainsi ses rêves le lendemain pouvaient se réaliser. On entendait les cris de ses jeux à travers tout le campement et si elle était moins habile que sa sœur, elle avait le pouvoir d’alléger les cœurs. Une petite fille coquette et rieuse, un éclat rose dans les Marais Secs. Douce et insouciante, les anciens tous les ans grognaient dans leur barbe qu’elle ne passerait pas l’hiver. Mais Laelie était encore là, avec ses pots de peintures, ses livres d’images et ses danses folles, le regard tourné vers la forêt.
Puis une nuit, elles ont été séparées.
« Laelie, va faire tremper tes pinceaux si tu ne veux pas qu’ils s’abîment. »
La petite sacrieur s’accroupit avec ses instruments en main, puis se dirige vers un sceau de quelques bonds maladroits, poussant des cris de crapaud-mufle. Elle enfonce ses bras jusqu’aux coudes dans l’eau. Deux bras la soulèvent par derrière et elle se retrouve face à Nanake. La sram soupire et lui passe un coup de torchon sur les joues et le bout du nez.
« T’en as vraiment partout. Arrête de gesticuler. »
Un bruit de cornes, le couvre-feu. Les bougies sont soufflées et les tours de garde peuvent commencer sous une lune blême et un ciel trop noir. Les hommes s’activent et s’éparpillent autour du camp dans un silence presque parfait. Rien n’est laissé au hasard. On enferme la dynamite et les pièges dans de larges caisses en bois massif rangées sous la plus grande tente puis on les recouvre d’un drap sombre. Demain aux premières lueurs du jour il faudra en refaire, il n’y a jamais assez d’explosifs pour un regroupement de bandits. Un disciple d’Ecaflip fourgué d’une torche passe sa tête dans les cottages, toujours la même question.
- Tout est en ordre les filles ?
- T’inquiètes Jyh, tout va bien. Je borde Laelie et on éteint.
- Et couvrez-vous surtout, un vent désagréable est en train de se lever.
Quand les bourrasques soufflent à travers les collines pour frapper le camp de dos, reléguant les odeurs salées de la mer, c’est là qu’ils sont le plus vulnérables. Le sifflement engouffré trouble la perception des gardes et l’odeur des ennemis est noyée, balayée. Une brume poussiéreuse et jaunâtre se lève et il devient impossible de voir à plus de cinquante mètres devant soi. Nanake le sait, elle reste assise en tailleur sur son lit, le dos bien droit et les yeux plissés.
- Tu n’as pas sommeil Nanake ?
- J’ai un mauvais pressentiment.
- Mais tu as toujours un mauvais pressentiment !
Elle sourit dans l’obscurité et vient déposer un baiser sur le front de sa petite sœur, lui répétant de s’endormir sans plus tarder.
Personne n’a entendu la ferraille des montures, ni même le pas feutré des hommes armés. Ce n’est que lorsqu’un foudroiement s’est abattu sur les tentes et que les premiers cris ont retenti que les bandits ont réalisé qu’une fois encore, ils subissaient une attaque. Des ombres passaient devant la tente des fillettes et Nanake gardait sa main plaquée sur la bouche de Laelie. Le bruit cristallin des épées qui s’entrechoquent, parfois un râle, les pièges précieusement enterrés emportaient avec eux quelques miliciens à intervalle régulier et peut-être que l’issue du combat eut été différente si le glyphe enflammé d’un homme en armure n’avait pas embrasé les caisses chargée de Lyres mortelles.
Tout s’est déroulé à une vitesse folle. L’explosion fut si rude que les malheureux qui ne périrent pas dans les flammes se retrouvèrent projetés contre les collines, désossés. Laelie perdit connaissance au milieu des flammes, la jambe coincée sous une dragodinde morte. Quand Nanake s’est relevée miraculeusement entière et qu’elle s’est retournée vers le campement pour y découvrir cette vision d’horreur, la mort de sa petite sœur pour elle ne laissait pas de place au doute. Des colonnes de flammes rouges dansaient autour des tentes dans un crépitement sourd et à par ça, plus aucun son. Le cœur déchiré et l’esprit enfumé, elle prit la fuite et plus tard trouvera le moyen de rejoindre le continent.
Le lendemain en début d’après-midi, après qu’enfin les dégâts se soient tassés et que les restes du camp redevinrent accessibles, la ville du centre envoya une nouvelle équipe pour évaluer les pertes et éventuellement, commencer l’extraction de la vase convoitée.
C’est le chef de cette petite troupe morbide qui a trouvé Laelie. Évanouie, le visage couvert de cendres et la respiration lourde, seuls ses cheveux roses éparpillés sur le sol permettaient encore de la distinguer de ce sinistre tableau. Attendri par cette enfant miraculée et sa bouille enfantine, Laelie fut ramenée en ville.
Les maisons étaient en briques ou en bois vernis et les tuiles des toits brillaient sous un soleil clément. Le sol, recouvert d’un pavé agréable sous le pied, laissait parfois entrevoir quelques brins d’herbe verte entre ses jointures. Aucune poussière dans l’air, une atmosphère purifiée par la forêt environnante. Jusqu’à ses quinze ans Laelie fut bichonnée. Il lui aura fallut du temps pour oublier ses manières sauvageonnes, le campement, les pièges, sa sœur. A la place on lui a enseigné l’art de la peinture, le piano et le chant. Les bonnes manières à table, la révérence devant les invités.
Puis l’homme qu’elle appelait père s’est remarié et a fondé une autre famille. La petite miraculée aux cheveux roses fut peut à peu reléguée aux taches ménagères et à la cuisine. A ses dix-huit ans la femme fut emportée par la fièvre des Moskitos puisque la ville était de nouveau à cours de vase. Le père sombra dans l’alcoolisme et vit en Laelie quelques sombres tentations. Elle n’était plus une enfant et elle était belle comme le jour. Désolée par l’attitude presque incontrôlable de cet homme lubrique, elle se sauva, sans oublier d’emporter avec elle un joli petit peigne doré, le chapeau rose de la femme qu’elle avait servi, et quelques robes colorées. Désireuse de recommencer sa vie dans un lieu sûr elle traversa les collines et rejoignit le continent.
Si vous le lui demandez, elle vous racontera sa rencontre avec la Chimère de pierres. Ou encore, la joie inespérée quand débarquée sur le port de Madrestam, une disciple de sram aux cheveux clairs s’est distinguée dans la foule, le médaillon de son Clan autour du cou.
Dernière édition par Kysae le Lun 2 Fév - 15:35, édité 4 fois